Homélie du 26e Dimanche du tps ordinaire

Par le Père André Benoit - Dimanche 26 Septembre 2010

 

Homélie du 26e Dimanche du temps ordinaire

 

Maubeuge

 

Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies... En quelques mots, Jésus affronte la question de la pauvreté et de la richesse, des inégalités terribles qui traversent le temps de la Bible. Ici, Jésus s’inscrit dans la lignée des prophètes tels Amos : Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Jérusalem, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie... la bande des vautrés n'existera plus.

 

Cette semaine, j’ai rencontré l’homme riche de la parabole. Cette semaine, j’ai aussi rencontré, le pauvre Lazare. Et c’était le même homme. Un homme qui successivement aura eu deux visages, celui de l’homme riche et celui du pauvre Lazare.

 

Cette semaine avec cinquante-cinq pèlerins, j’étais en Ombrie, le coeur vert de l’Italie, une terre où il fait bon vivre, une terre ou chaque pierre raconte le passé, une terre de Saints et de Foi.

 

La première, la grande étape de ce pèlerinage fut la ville d’Assise. La ville de François et de Claire. La ville où débuta l’aventure franciscaine. François que l’Église fête, chaque année le 4 octobre, date anniversaire de sa mort en 1226.

 

Au retour de ce pèlerinage et à 8 jours du 4 octobre, l’occasion est belle d’évoquer François et l’aventure franciscaine, d’autant que l’Évangile de ce jour, nous y invite. L’homme aux deux visages, l’homme qui est à la fois le riche faisant chaque jour des festins somptueux et le pauvre Lazare mendiant à la porte, c’est lui, c’est Francois Bernadone que le monde connaît sous le nom de François d’Assise.

 

François, fils de de Pierre Bernadone, marchand, aventurier, homme de caractère, parcourant l’Europe à la recherche des meilleurs draps, des plus beaux tissus qui feront sa fortune. C’est dans cette riche famille d’Assise que va naître François éduqué à la fois comme un marchand et comme le chevalier qu’il rêvera d’être. Enfance dont son biographe Thomas de Celano écrira, peu de temps après sa mort : il fut élevé sans freins par ses parents, selon la vanité du siècle. Thomas de Celano qui raconte que François est choisi comme seigneur par la jeunesse dorée d’Assise : ils le choisissent comme chef, ayant souvent expérimenté sa générosité ; grâce à elle, ils savaient sans l’ombre d’un doute qu’il paierait leurs dépenses pour toutes choses. Ils se font obéissants pour s’emplir le ventre... Banquet somptueux, chansons d’ivrogne, vanité... la jeunesse de François est bien celle de l’homme riche de l’Évangile.

 

Et qui est le pauvre de la parabole ? Pas François, pas maintenant alors qu’il est le seigneur de la jeunesse d’Assise. On a l’embarras du choix pour trouver le pauvre Lazare : paysans sans terre, mendiants, malades, gens âgés et peut-être plus encore ceux qui sont les plus rejetés dans cette société : les lépreux. Le pauvre Lazare est à la porte de la maison Bernadone et il frappe. Or comme un jour il se tenait dans la boutique où il vendait des étoffes, préoccupé d’affaires de cette sorte, vint à lui un pauvre qui demandait l’aumône pour l’amour de dieu. Et comme, pris par la cupidité des richesses et le soin du négoce, il lui avait refusé l’aumône.

 

Mais l’histoire de François nous le montre travaillé par la Parole de Dieu, par l’Esprit : sondé par la grâce divine, il se reprocha sa grande rustrerie en se disant : «si ce pauvre t’avait demandé quelque chose au nom de quelque grand comte ou baron, à coup sûr tu lui aurais donné ce qu’il demandait. Combien plus aurais-tu donc dû le faire au nom du Roi des rois et du Seigneur universel !» Aussi se proposa-t-il dès lors en son coeur de ne plus refuser désormais des demandes faites au nom d’un si grand Seigneur.

 

La vie de François est en train de basculer. Soudain le pauvre Lazare a pour lui un visage, celui de l’homme qui frappe à la porte. Il n’est plus un importun mais se révèle un frère. Visage du mendiant, visage du lépreux : Comme il chevauchait près d’Assise, il rencontra un lépreux sur la route. Comme il avait d’ordinaire une grand horreur des lépreux, se faisant violence, il descendit de cheval et lui offrit un denier en lui baisant la main.

 

Se faisant violence...  ces mots attestent que la conversion, la transformation de nos coeurs et de nos vies n’est pas facile. Nous ne pouvons pas attendre de Dieu que notre vie devienne différente par un coup de baguette magique. Pour nous tous, la conversion est un combat, une épreuve comme l’attestent ces mots de Ruffin, l’un des premiers compagnons de François :

 

Quelques jours plus tard, prenant beaucoup d'argent, il se rendit à l'hôpital des lépreux et, les réunissant tous ensemble, il donna une aumône à chacun en lui baisant la main. À son retour, il est vrai que ce qui lui était auparavant amer - c'est-à-dire de voir et de toucher des lépreux - fut changé en douceur. Comme il le dit, elle lui avait en effet été à ce point amère, la vision des lépreux, qu'il refusait non seulement de les voir, mais même de s'approcher de leurs habitations. Et s'il lui arrivait parfois de passer le long de leurs maisons ou de les voir, bien que la pitié le pousse à leur faire l'aumône par personne interposée, pourtant il détournait toujours le visage et se bouchait le nez de ses propres mains. Mais par la grâce de Dieu il devint à ce point familier et ami des lépreux que, comme il atteste en son Testament, il séjournait parmi eux et les servait humblement.

 

Le mendiant, le lépreux... à chaque fois que le pauvre Lazare frappe à la porte de la vie de François, c’est le Christ qui est là. Et ce qui est encore obscur aux yeux de François va devenir clarté de l’aurore comme le raconte Ruffin dans la récit de la rencontre avec le crucifix de la chapelle saint Damien :

 

Quelques jours plus tard, comme il passait près de l'église Saint-Damien, il lui fut dit en esprit d'y entrer pour prier. Une fois entré, il commença à prier avec ferveur devant une image du Crucifié, qui parla avec piété et bienveillance en lui disant : «François, ne vois-tu pas que ma maison tombe en ruines ? Va donc et répare-la-moi !» Tremblant et stupéfait, il dit: «Je le ferai volontiers, Seigneur.» Il comprit en effet qu'on lui parlait de celle église-là que sa trop grande vétusté menaçait d'un écroulement prochain. Celle allocution le remplit d'une si grande joie et l'éclaira d'une si grande lumière qu'il perçut vraiment en son âme que c'était le Christ crucifié qui lui avait parlé.

 

François, ne vois-tu pas que ma maison tombe en ruines ? Va donc et répare-la-moi ! Appel de l’Esprit à rebâtir l’Église, non pas seulement cette vieille chapelle saint Damien qui tombe en ruines mais l’Église universelle, l’Église faite de pierres vivantes, l’Église d’hier,, d’aujourd’hui et de demain sans cesse à rebâtir. Ces paroles dans la chapelle saint Damien sont pour François, elles sont aussi pour chacun de nous, chaque chrétien, chaque baptisé, appelé à prendre part à la vie de son Église, à son renouveau, en témoignant de l’Évangile, de la Parole de Jésus, le Christ, le ressuscité.

 

Je continuerai à méditer la vie de François, dimanche prochain, veille de la fête que lui consacre l’Église. Mais arrêtons-nous encore sur un dernier passage. Changer de vie, c’est vaincre tant de réticences, de refus, de réticences de ses amis, de refus de son Père qui ne comprend pas, n’accepte pas que François change de vie. Cet affrontement et le choix de vie définitif de François culmine dans la célèbre scène du procès que lui fait son père devant l’évêque d’Assise.

 

Voyant donc qu'il n'obtiendrait rien devant les consuls, le père déposa la même plainte devant l'évêque de la cité. Plein de discernement et de sagesse, l'évêque appela François, en bonne et due forme, à comparaître pour répondre à la plainte de son père. François répondit au messager en disant: « Je viendrai au seigneur évêque, car il est père et seigneur des âmes. » Il vint donc à l'évêque et fut reçu par lui avec grande joie. L'évêque lui dit: « Ton père est contrarié contre toi et très scandalisé. C'est pourquoi, si tu veux servir Dieu, rends-lui l'argent que tu as ; puisqu'il est peut-être mal acquis, Dieu ne veut pas que tu le dépenses pour l' œuvre de l'église, à cause des péchés de ton père dont la fureur s'apaisera quand il l'aura récupéré. Aie donc, fils, confiance en Dieu et agis comme un homme; ne crains pas, car il sera ton aide et, pour l' œuvre de son église, il te fournira en abondance le nécessaire. »

 

Il se leva donc, l'homme de Dieu, allègre et conforté par les paroles de l'évêque; et portant l'argent devant lui, il lui dit: « Seigneur, ce n'est pas seulement cet argent, qui provient de ses affaires, que je veux rendre à mon père l'esprit joyeux, mais aussi les vêtements.» Et entrant dans la chambre de l'évêque, il retira tous ses vêtements. Posant l'argent dessus, devant l'évêque, son père et les autres assistants, il sortit nu au-dehors et dit : « Écoutez tous et comprenez ! Jusqu'à cet instant, c'est Pierre de Bernardone que j'ai appelé mon père. Mais puisque je me suis proposé de servir Dieu, je lui rends l'argent pour lequel il se tourmentait et tous les vêtements que j'ai reçus de ses biens, car dorénavant je veux dire : Notre Père qui es aux cieux, et non plus "père Pierre de Bernardone".»

 

Désormais, François est nu. Il est maintenant le pauvre Lazare. Une vie nouvelle s’ouvre devant lui. Celle d’un pauvre Lazare qui infatigablement parcourra les routes et les chemins à la rencontre de ses contemporains, les invitant à se mettre à l’écoute de l’Évangile, les invitant à la conversion, à de nouveaux choix de vie, à rebâtir leur Église. Écoutons François, écoutons le Christ.

 

Amen.

Article publié par Paroisse Sainte Aldegonde • Publié le Jeudi 30 septembre 2010 - 14h20 • 5168 visites

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