À la découverte de l'Apocalypse (3)

Une troisième matinée qui est une plongée dans l'Ancien Testament, en ces temps troublés du second siècle avant Jésus qui voient apparaître les premiers textes apocalyptiques dans les livres de Daniel et d'Hénoch.

APOCALYPSE

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Jeudi 10 Mars 2016

L’Apocalypse avant l’apocalypse

Raismes

 

Ἀποκάλυψις Ἰησοῦ Χριστοῦ... révélation de Jésus Christ

 

Imaginez un lecteur de la fin du premier siècle. Il ouvre le livre que Jean vient d’écrire et il lit : Ἀποκάλυψις Ἰησοῦ Χριστοῦ... révélation de Jésus Christ... Jean, aux sept Églises qui sont en Asie mineure : à vous, la grâce et la paix, de la part de Celui qui est, qui était et qui vient, de la part des sept esprits qui sont devant son trône... Quel sera son état d’esprit ? Va-t-il être surpris par les images, les mots, les idées (différents exemples) ? Mais non, s’il a à sa disposition une bonne bibliothèque, tout cela lui est familier depuis longtemps. Il lui suffit d’aller prendre sur les étagères, un certain nombre de rouleaux, en papyrus ou en parchemin : le livre de Daniel, que vous trouverez dans vos bibles, mais aussi d’autres qui n’y sont pas : les premiers et seconds livres d’Hénoch, le quatrième livre d’Esdras (dans l’édition 2010 de la TOB), le second livre de Baruch et l’apocalypse d’Abraham.

 

Ἀποκάλυψις Ἰησοῦ Χριστοῦ. Jean est le premier auteur à utiliser le mot Apocalypse mais son livre ne surgit pas du néant. Les mots, les idées, les images qu’il utilise plongent leur racines dans une longue histoire. Et comment comprendre le livre de l’Apocalypse sans découvrir ses origines proches et lointaines dans une période historique qu’on appelle l’époque du second temple ?

 

Le temps du Second Temple

 

La Bible fait remonter la construction d’un temple à Jérusalem au temps du roi Salomon entre 970 et 931 avant Jésus-Christ. Ce temple sera détruit en 587 par les armées du roi de Babylone, Nabuchodonosor II. Et avec la destruction du temple, c’est la fin du royaume indépendant de Juda dont la capitale était Jérusalem. C’est la déportation pour une partie de la population, les élites notamment. Plus de temple, plus de roi, plus de terre, comment la foi au Dieu d’Israël peut-elle survire ? 

 

L’exil durera 70 années, jusqu’au temps où les Perses s’empareront de Babylone, autoriseront des exilés à rentrer à Jérusalem et à reconstruire un temple, le second temple. Cette longue période ne nous est pas très familière. La Bible nous emmène dans des temps plus anciens, celui des patriarches, des rois, des prophètes. Nous sommes capables de parler d’Abraham, de Moïse, de David, d’Élie, de Jérémie mais qui peut nous parler de l’époque du second temple. 

 

Un nom : Cyrus. Un texte : le livre d’Isaïe. Cyrus n’est pas un prophète, ni même un fils d’Israël. C’est le roi des Perses qui autorisent les exilés à rentrer à Jérusalem. C’est moi qui ai fait surgir Cyrus selon la justice et j’aplanis tous ses chemins. C’est lui qui construira ma ville et laissera partir mes déportés sans paiement ni rançon », – dit le Seigneur de l’univers (Isaïe 45,13). Un autre nom Zorobabel qui rentrant de l’exil à Babylone va reconstruire le temple : La parole du Seigneur me fut adressée : Les mains de Zorobabel ont fondé cette Maison ; ses mains l’achèveront. Alors vous saurez que le Seigneur de l’univers m’a envoyé vers vous ! Qui donc méprisait le jour des modestes commencements ? Qu’on se réjouisse plutôt en voyant le fil à plomb dans la main de Zorobabel ! Quant aux sept lampes, ce sont les yeux du Seigneur, eux qui parcourent toute la terre (Zacharie 4,8-10). D’autres noms encore des deux siècles où Israël est sous la domination des Perses : Aggée, Zacharie, Néhémie, Esdras.

 

Face à la domination grecque : la littérature de Sagesse

 

En 332, la Palestine est conquise par les armées d’Alexandre le Grand. S’ouvrent trois siècles de domination de la culture grecque. C’est la période de naissance de la littérature apocalyptique. Dix ans après la conquête, Alexandre meurt est son empire est partagé en deux blocs ; au sud, en Égypte, les Ptolémées ; au nord, en Syrie, les Séleucides. La Palestine qui se trouve à la frontière, sera l’enjeu d’une lutte acharnée entre ces deux royaumes et changera plusieurs fois de main. Parmi les familles les plus riches de Jérusalem, certains soutiendront les Ptolémées, d’autres les Séleucides entretenant un climat d’affrontement et de violence

 

À quoi ressemble alors Jérusalem ? À une ville parmi tant d’autres. Le pouvoir local est assuré par le grand-prêtre. Des habitants venus de Grèce et d’ailleurs vont s’installer en Palestine. Une partie des élites juives adoptera les modes de vie des grecs. Une petite partie de la population accumule les richesses. On en trouve trace dans un livre de la Bible qui s’appelle Qohelet ou l’Ecclesiaste, un livre qui appartient à cette partie de la Bible qu’on appelle la littérature de Sagesse. L’auteur décrit les classes dominantes de son temps : J’ai entrepris de grands travaux : je me suis bâti des maisons et planté des vignes. Je me suis aménagé des jardins et des vergers ; j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers. J’ai creusé pour moi des bassins dont les eaux irriguent des pépinières. J’ai eu des serviteurs et des servantes, leurs enfants nés dans ma maison, ainsi qu’une abondance de gros et petit bétail, plus que tous mes prédécesseurs à Jérusalem. J’ai encore amassé de l’argent et de l’or, la fortune des rois et des États. J’ai eu des chanteurs et des chanteuses et ce plaisir des fils d’Adam : une compagne, des compagnes… Je me suis agrandi, j’ai surpassé tous mes prédécesseurs à Jérusalem, et ma sagesse me restait. Rien de ce que mes yeux convoitaient, je ne l’ai refusé. Je n’ai privé mon cœur d’aucune joie ; je me suis réjoui de tous mes travaux, et ce fut ma part pour tant de labeur. Mais quand j’ai regardé tous les travaux accomplis par mes mains et ce qu’ils m’avaient coûté d’efforts, voilà : tout n’était que vanité et poursuite de vent ; rien à gagner sous le soleil ! (Ecclesiaste 2,4-11). 

 

Ben Sirac le Sage qui écrit vers 180 décrit, lui aussi ,la situation sociale de son temps mais le ton se fait plus critique : Que chancelle un riche, il est soutenu par ses amis ; que tombe un pauvre, il est repoussé par les siens. Quand le riche fait un faux pas, il trouve beaucoup d’appuis ; s’il dit des sottises, on lui donne raison. Mais quand un petit trébuche, on lui fait des reproches ; même s’il a des choses sensées à dire, on ne lui en donne pas l’occasion. Quand le riche prend la parole, tous font silence et portent son discours aux nues. Si le pauvre veut s’exprimer, on demande : « Qui est-ce ? » et s’il bute sur un mot, on l’enfonce (Siracide 13,21-23).

 

Les écrits de ce Joshua Ben Sira nous font découvrir quelques grands enjeux de ce temps. C’est un notable de Jérusalem, un scribe, un homme qui a voyagé à l’étranger. Il consacre une partie de sa vie à la Loi du Seigneur, cherchant à la communiquer aux autres. Il défend la loi et les coutumes d’Israël contre ce qui les menace : les modes de vie étrangers, la culture grecque. Écoutons Ben Sira appelant à la crainte de Dieu, au courage, à la persévérance : Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricorde, ne vous écartez pas du chemin, de peur de tomber. Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui, et votre récompense ne saurait vous échapper. Vous qui craignez le Seigneur, espérez le bonheur, la joie éternelle et la miséricorde : ce qu’il donne en retour est un don éternel, pour la joie. Considérez les générations passées et voyez : Celui qui a mis sa confiance dans le Seigneur, a-t-il été déçu ? Celui qui a persévéré dans la crainte du Seigneur, a-t-il été abandonné ? Celui qui l’a invoqué, a-t-il été méprisé ? Car le Seigneur est tendre et miséricordieux, il pardonne les péchés, et il sauve au moment de la détresse. Malheur aux cœurs lâches et aux mains négligentes, au pécheur qui suit deux sentiers. Malheur au cœur négligent, qui ne fait pas confiance : il ne sera pas protégé. Malheur à vous qui avez perdu la persévérance : que ferez-vous lors de la visite du Seigneur ? Ceux qui craignent le Seigneur ne désobéiront pas à ses paroles, ceux qui l’aiment suivront ses chemins. Ceux qui craignent le Seigneur chercheront à lui plaire, ceux qui l’aiment se rassasieront de sa loi. Ceux qui craignent le Seigneur prépareront leur cœur et s’humilieront devant lui, disant : « Nous voulons tomber dans les mains du Seigneur, et non dans celles des hommes. Car telle est sa grandeur, telle est aussi sa miséricorde. » (Siracide 2,7-18).

 

Ben Sira ne propose pas aux opprimés la révolte et la lutte de libération. C’est dans la connaissance de soi et dans la sagesse qu’ils trouveront une réponse à leur soif de liberté. C’est dans la prière et la confiance en Dieu qu’ils trouveront la victoire sur les méchants. Joshua Ben Sira est l’héritier des prophètes des temps anciens, qui sont évoqués dès la première ligne de son livre : La Loi, les Prophètes et les livres qui leur font suite nous ont transmis de nombreuses et grandes leçons, et il faut, à ce sujet, louer Israël pour son enseignement et sa sagesse (Siracide 2,7-18), ou plus loin quand il rappelle Élie : Le prophète Élie surgit comme un feu, sa parole brûlait comme une torche (Siracide 48,8). Écoutons-le dans un passage du chapitre 35 : Ne mets pas ta confiance dans un sacrifice injuste. Car le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues, et son cri n’accuse-t-il pas celui qui la fait pleurer ? Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. La prière du pauvre traverse les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui, ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice. Le Seigneur ne tardera pas, il restera impatient, jusqu’à ce qu’il ait brisé les reins des hommes sans pitié, tiré vengeance des nations, supprimé la multitude des insolents et brisé le sceptre des injustes, jusqu’à ce qu’il ait rendu à chacun selon ses œuvres et rétribué les actions des hommes selon leurs intentions, jusqu’à ce qu’il ait jugé la cause de son peuple et qu’il l’ait comblé de joie par sa miséricorde. Qu’elle sera bienvenue, sa miséricorde, au temps du malheur, comme les nuages de pluie au temps de la sécheresse ! (Siracide 35,15-26).

 

Pas de révolte ni de la lutte de libération pourtant la vie est difficile : forces économiques complexes, bureaucratie étouffante et occupation militaire qui pèse lourdement. Mais il existe un esprit de tolérance religieuse. Le roi païen Antiochos III qui régnera de 223 à 187 sur le royaune séleucide fait restaurer le Temple. On y livre des animaux de sacrifice, de l’huile, du vin, du blé, de la farine, du sel et de l’encens pour la somme considérable de 20 000 drachmes d’argent pour une seule année. Il garantit aussi aux descendants d'Abraham un certain nombre de droits ouvrant un temps de paix pour le peuple juif.

 

Antiochos IV, un règne de fer, de feu et de sang

 

À Antiochos III succédera Antiochos IV qui mènera une politique à l’inverse de son père et va mettre à feu et à sang la Palestine, qui ouvre des temps «apocalyptiques». Pourquoi un tel revirement ? On ne le sait pas exactement ? On constate que vont s’implanter à Jérusalem des modes de vie et des cultes grecs qui vont heurter les juifs traditionalistes. On peut citer un homme comme Joseph Ben Tobiah qui acheta vers 240 la charge de percevoir les impôts. Juif, neveu du grand-prêtre, il viola les lois de Moïse consommant des nourritures interdites, pratiquant le prêt à intérêt.. Lui et ses fils développèrent une fortune immense. Mais plus que de construire un gymnase lieu où on pratiquait, nu, les jeux athlétiques et les exercices physiques, ce qui mit le feu aux poudres, ce fut la volonté d’Antiochos IV de puiser dans le trésor du temple de Jérusalem ce qu’il fit en 169 . Les juifs y virent un sacrilège et furent désormais animés de ressentiment et de haine. La révolte se déclencha entraînant des représailles terribles. Antiochos s’empare de Jérusalem fait tuer en 3 jours 80 000 hommes, femmes, enfants et en emmènent autant en esclavage. Il pille le trésor du temple et déclenche des persécutions religieuses dédiant le Temple à Zeus olympien, qui le Dieu Baal-Shamin des syro-phénicien. Ces événements sont mentionnés dans la livre de Daniel : Des forces envoyées par lui surgiront, profaneront le Lieu saint, la citadelle ; elles feront cesser le sacrifice perpétuel et établiront l’Abomination de la désolation (Daniel 11,31) et dans les livres des Martyrs d’Israël connus aussi sous le nom de livres des Maccabées où entre autres passages terribles on peut lire la lamentation du prêtre Mattathias : En ces jours-là se leva Mattathias, fils de Jean, fils de Syméon, prêtre de la descendance de Joarib. Il quitta Jérusalem et s’établit à Modine. Il avait cinq fils : Jean surnommé Gaddi, Simon appelé Thassi, Judas appelé Maccabée, Éléazar appelé Awarane, Jonathan appelé Apphous. À la vue des sacrilèges qui se commettaient en Juda et à Jérusalem, Mattathias dit : « Malheur à moi ! Suis-je né pour voir la ruine de mon peuple, la ruine de la Ville sainte, et rester assis là, tandis qu’elle est livrée aux mains des ennemis, et le sanctuaire, aux mains des étrangers ? Son Temple est devenu semblable à un homme déshonoré, les objets qui faisaient sa gloire ont été emportés comme prises de guerre. Sur ses places, on a massacré ses petits enfants, ses jeunes gens sont tombés sous l’épée de l’ennemi. Est-il une nation qui n’a pas confisqué une part de sa puissance royale, qui ne s’est emparée de son butin ? Toute sa parure lui a été arrachée. Elle était libre : la voilà réduite en esclavage ! Oui, le Lieu saint, notre beauté et notre gloire, ils l’ont dévasté, les nations l’ont profané. À quoi bon vivre encore ? » Mattathias et ses fils déchirèrent leurs tuniques, s’enveloppèrent de toile à sac et menèrent un grand deuil. Les hommes envoyés par le roi pour contraindre les gens à l’apostasie arrivèrent dans la ville de Modine pour y organiser des sacrifices. Beaucoup en Israël allèrent à eux ; Mattathias et ses fils vinrent à la réunion. Les envoyés du roi prirent la parole pour dire à Mattathias : « Tu es un chef honoré et puissant dans cette ville, soutenu par des fils et des frères. Avance donc le premier, et exécute l’ordre du roi, comme l’ont fait toutes les nations, les hommes de Juda et ceux qui sont restés à Jérusalem. Alors, toi et tes fils, vous serez les amis du roi. Toi et tes fils, vous serez comblés d’argent, d’or et de cadeaux nombreux. » Mattathias répondit d’une voix forte : « Toutes les nations qui appartiennent aux États du roi peuvent bien lui obéir en rejetant chacune la religion de ses pères, et se conformer à ses commandements ; mais moi, mes fils et mes frères, nous suivrons l’Alliance de nos pères. Que le Ciel nous préserve d’abandonner la Loi et ses préceptes ! Nous n’obéirons pas aux ordres du roi, nous ne dévierons pas de notre religion, ni à droite ni à gauche. » Dès qu’il eut fini de prononcer ces paroles, un Juif s’avança en présence de tout le monde pour offrir le sacrifice, selon l’ordre du roi, sur cet autel de Modine. À cette vue, Mattathias s’enflamma d’indignation et frémit jusqu’au fond de lui-même ; il laissa monter en lui une légitime colère, courut à l’homme et l’égorgea sur l’autel. Quant à l’envoyé du roi, qui voulait contraindre à offrir le sacrifice, Mattathias le tua à l’instant même, et il renversa l’autel.Il s’enflamma d’ardeur pour la Loi comme jadis Pinhas contre Zimri. Alors Mattathias se mit à crier d’une voix forte à travers la ville : « Ceux qui sont enflammés d’une ardeur jalouse pour la Loi, et qui soutiennent l’Alliance, qu’ils sortent tous de la ville à ma suite. » Il s’enfuit dans la montagne avec ses fils, en abandonnant tout ce qu’ils avaient dans la ville. Alors, beaucoup de ceux qui recherchaient la justice et la Loi s’en allèrent vivre au désert, avec leurs fils, leurs femmes et leur bétail. Le malheur s’était appesanti sur eux. (1 Maccabées 2,1-30)

 

Au coeur des ténèbres, une lumière : la naissance de la littérature apocalyptique

 

Nous sommes ici à la naissance de la littérature apocalyptique. Dans les temps relativement heureux de la domination perse puis grecque avaient dominé les écrits de Sagesse : Proverbes, Job, Qohelet, le livre de la Sagesse, celui de Ben Sira. L’intention de la Sagesse était pratique. Il s’agissait de maîtriser le monde et de vivre heureux, c’est à dire en harmonie avec les règles qui gouvernent le monde et la société. Mais avec la guerre qui ravage la Palestine, il n’y a plus de règles, plus de bonheur, plus d’harmonie, plus de sagesse. C’est un tout autre genre de textes qui vont apparaître, ce qu’on appellera plus tard la littérature apocalyptique et qui est le reflet du fer, du feu et du sang qui marquent ces années terribles.

 

Mon but n’étant pas de vous raconter cette guerre, je vous dirai juste qu’elle aboutira à l’indépendance d’un état juif gouverné par les deux fils du prêtre Mattahias dont nous avons lu les lamentations. Judas Maccabée puis son frère Jonathan et après eux leurs descendants gouvernèrent un pays qui restera indépendant jusque la conquête romaine quand Pompée s’empare de Jérusalem en 63.

 

Il est un épisode de cette guerre que l’on peut évoquer ici avant de découvrir la littérature apocalyptique. Cet épisode se passe en octobre ou novembre 164 quand Judas Maccabée revient à Jérusalem avec ses troupes et restaure, purifie et dédicace le Temple. Cet événement continue de nos jours d’être célébré par les juifs. C’est la fête de Hannoucca.  

 

Hag HaHanoukka (חג החנוכה « Fête de l'Édification », la Fête des Lumières qui a été célébrée en 2015 du 6 au 14 décembre.

 

Alors Judas et ses frères déclarèrent : « Voilà nos ennemis écrasés, montons purifier le Lieu saint et en faire la dédicace. » Toute l’armée se rassembla, et ils montèrent à la montagne de Sion. Là, ils virent le sanctuaire dévasté, l’autel profané, les portes complètement brûlées. Dans les parvis, la végétation avait poussé comme dans un bois ou sur une montagne, et les salles des prêtres étaient détruites... Alors, Judas donna l’ordre à quelques hommes de combattre les occupants de la citadelle, pendant la purification du Lieu saint. Il choisit des prêtres irréprochables et très attachés à la Loi. Ceux-ci purifièrent le Lieu saint... Conformément à la Loi, ils prirent des pierres non taillées et bâtirent un autel nouveau, sur le modèle du précédent. Ils restaurèrent aussi le Lieu saint et l’intérieur de la Demeure ; ils sanctifièrent les parvis. Ils introduisirent au cœur du sanctuaire les nouveaux ustensiles sacrés qu’ils avaient fabriqués, le chandelier, l’autel des parfums et la table des offrandes.Ils firent brûler de l’encens sur l’autel et allumèrent les lampes du chandelier, qui illuminèrent le sanctuaire. Ils placèrent les pains de l’offrande sur la table et tendirent les rideaux. Ils achevèrent ainsi tous les travaux qu’ils avaient entrepris. Le vingt-cinquième jour du neuvième mois, c’est-à-dire le mois de Kisléou, en l’année 148, de grand matin, les prêtres offrirent le sacrifice prescrit par la Loi sur le nouvel autel qu’ils avaient construit. On fit la dédicace de l’autel au chant des hymnes, au son des cithares, des harpes et des cymbales. C’était juste l’anniversaire du jour où les païens l’avaient profané. Le peuple entier se prosterna la face contre terre pour adorer, puis ils bénirent le Ciel qui avait fait aboutir leur effort. Pendant huit jours, ils célébrèrent la dédicace de l’autel, en offrant, dans l’allégresse, des holocaustes, des sacrifices de communion et d’action de grâce. Ils ornèrent la façade du Temple de couronnes d’or et de boucliers, ils en restaurèrent les entrées et les salles et y replacèrent des portes. Il y eut une grande allégresse dans le peuple, et l’humiliation infligée par les païens fut effacée. Judas Maccabée décida, avec ses frères et toute l’assemblée d’Israël, que l’anniversaire de la dédicace de l’autel serait célébré pendant huit jours chaque année à cette date, dans la joie et l’allégresse. (1 Maccabées 36,26-59)

 

Mais quittons la joie de Hannoucca pour revenir aux terribles événements qui sont la trame des livres de Maccabées et qui ne sont pas sans rappeler notre temps présent dans un Proche-Orient en feu. La guerre et les massacres sont-ils l’acte de naissance de la littérature apocalyptique ? C’est le moment d’ouvrir le livre de Daniel qui l’exemple le plus marquant d’une littérature apocalyptique dans la Bible Il existe d’autres Apocalypses comme le livre d’Hénoch mais ils n’ont pas été intégrés dans la liste des livres bibliques, ce qu’on appelle le Canon des Écritures.

 

Les premières apocalypses : Daniel et Hénoch

 

Il peut paraître étrange de relier Daniel au 2ème siècle. le livre commence par ses mots : La troisième année du règne de Joakim, roi de Juda, Nabucodonosor, roi de Babylone, arriva devant Jérusalem et l’assiégea (Daniel 1,1). Joakim devient roi en 609. Il y a 439 ans entre les deux événements. Comme si en 2016, nous racontions des événements de 1577 alors qu’Henri III est roi de France et que le pays est secoué par les guerres de religion. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, dans les années terrible de la guerre contre Antiochus IV, qu’un groupe de scribes anonymes vont se mettre au travail. Un groupe qui se présente au chapitre 11 comme des instructeurs : Les gens intelligents du peuple en instruiront beaucoup, mais ils seront accablés par l’épée, le feu, la captivité et la spoliation pendant des jours. Lorsqu’ils seront accablés, peu de gens leur viendront en aide, mais beaucoup se joindront à eux par intrigue (Daniel 11,33,34).

 

Ces scribes récupèrent différents matériaux, dont un texte ancien, les chapitres 1 à 6, qui raconte l’histoire de Daniel au temps de l’exil à Babylone : Le roi rentra dans son palais ; il passa la nuit sans manger ni boire, il ne fit venir aucune concubine, il ne put trouver le sommeil. Il se leva dès l’aube, au petit jour, et se rendit en hâte à la fosse aux lions. Arrivé près de la fosse, il appela Daniel d’une voix angoissée : « Daniel, serviteur du Dieu vivant, ton Dieu, que tu sers avec tant de constance, a-t-il pu te faire échapper aux lions ? » Daniel répondit : « Ô roi, puisses-tu vivre à jamais ! Mon Dieu a envoyé son ange, qui a fermé la gueule des lions. Ils ne m’ont fait aucun mal, car j’avais été reconnu innocent devant lui ; et devant toi, ô roi, je n’avais rien fait de criminel. » Le roi ressentit une grande joie et ordonna de tirer Daniel de la fosse. On l’en retira donc, et il n’avait aucune blessure, car il avait eu foi en son Dieu (Daniel 6,19-24). C’est une caractéristique dans les apocalypses d’en attribuer l’écriture à un personnage du passé : Daniel, Hénoch qui était l’arrière grand-père de Noé, Baruch, Abraham. Cette manière de faire pose d’ailleurs la question de l’auteur du livre de l’Apocalypse dans le Nouveau Testament. Jean en est-il le véritable auteur ? Où n’est-il qu’à une figure du passé, peut-être l’apôtre, le frère de Jacques à qui un ou des auteurs anonymes ont attribué leur ouvrage personnage ?

 

Le livre de Daniel intègre des textes anciens et d’autres nouveaux, dont les chapitres 7 à 12 qui sont eux une apocalypse dont un passage évoque la résurrection des morts et le jugement dernier : En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent, jusqu’à ce temps-ci. Mais en ce temps-ci, ton peuple sera délivré, tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles. Ceux qui ont l’intelligence resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude brilleront comme les étoiles pour toujours et à jamais (Daniel, 12,1-3).

 

Le livre de Daniel, une apocalypse ? Au moins pour sa partie la plus récente. Le livre d’Hénoch est aussi une apocalypse comme le signale le thème du jugement : Alors Raphaël, un des saints anges qui m’accompagnait, me dit : Voici les bienheureuses régions où sont rassemblés les esprits, les âmes des morts ; c’est là que doivent se réunir toutes les âmes des enfants des hommes. C’est dans ces lieux qu’elles resteront jusqu’au jour du jugement, jusqu’au temps qui leur est marqué. Or, ce temps sera long à venir, c’est le jour du grand jugement. Et je vis les esprits des enfants des hommes qui étaient morts, et leurs cris accusateurs s’élevaient jusqu’au ciel. Alors j’interrogeai Raphaël, l’ange qui m’accompagnait, et je lui dit : De qui est cette voix accusatrice qui monte vers le ciel ? Il me répondit : C’est la voix de l’esprit d’Abel, qui a été tué par son frère Caïn, et qui l’accusera jusqu’à ce que sa race soit exterminée de dessus la face de la terre. Jusqu’à ce que sa race soit effacée d’au milieu des hommes. Alors je l’interrogeai sur lui, sur le jugement universel, et je lui dis : Pourquoi les uns sont-ils séparés des autres ? (Hénoch, chapitre 22)

 

Mais le thème du jugement n’est pas le seul, on en trouve d’autres dans les apocalypses. Vous y lirez des choses aussi variées que des listes, des testaments, des songes, des visions, des oracles, de instructions de sagesse, des récits de voyage supra-terrestres comme dans Henoch : Avant l’accomplissement de toutes ces choses, Enoch fut enlevé de la terre ; et personne ne sut où il avait été enlevé, ni ce qu’il était devenu. Tous ses jours, il les passa avec les saints, et avec les vigilants. Moi, Enoch, je bénissais le grand Seigneur, le roi de la paix. Et voici : les vigilants me nommèrent Enoch le scribe (Hénoch, chapitre 12).

 

Puis ils m’enlevèrent dans un endroit où il y avait comme un feu dévorant ; et où, selon leur bon plaisir, ils prenaient la ressemblance de l’homme. Ils me conduisirent sur un lieu élevé, sur une montagne dont le sommet s’élançait dans les cieux. Et je vis les trésors des éclairs et du tonnerre aux extrémités de ce lieu, dans l’endroit le plus profond... Puis j’arrivai aux réservoirs de tous les vents, et je remarquai comment ils servaient à l’ornement de la terre, et à la conservation des fondements de la terre. Je vis la pierre qui supporte les angles de la terre. Je vis aussi les quatre vents qui soutiennent la terre et le firmament du ciel (Hénoch, chapitres 17 et 18).

 

Je n’ai pas choisi au hasard de lire des extraits d’Henoch. Il s’agit probablement de la plus ancienne des apocalypses qui nous est conservés, datant des 3èmes et 2èmes siècles mais comme Daniel, reprenant des éléments plus anciens remontant jusque Babylone. Le livre d’Henoch eut une influence importante comme le signale sa présence en plusieurs exemplaires dans ma bibliothèque de Qumran.

 

Qu’est-ce que c’est qu’une apocalypse ?

 

On trouve donc des éléments très variés dans les apocalypses, éléments qu’on peut retrouver ailleurs. Il n’y a pas de frontières bien déterminée qui ferait qu’un texte appartienne ou pas au genre apocalyptique. Les biblistes ont cherché à en donner la meilleure définition possible qui ressemblerait à cela : On trouve un point commun, une structure présente dans toutes les apocalypses : un messager de Dieu fait une révélation à une figure prestigieuse du passé, une révélation qui peut notamment porter sur le sens caché de l’histoire et/ou du monde. Si vous trouvez cela dans un texte alors vous avez devant vous une apocalypse.

 

Les racines prophétiques des apocalypses

 

Si ce qu’on appelle le genre littéraire apocalyptique apparaît au second siècle, en lien avec la guerre, il a des racines anciennes puisant à la fois dans la littérature de Sagesse, dont nous avons lu tout à l’heure quelques extraits tirés des livres de l’Ecclésiaste du du Siracide ; et chez les prophètes. Voici deux extraits du livre d’Isaïe dont les thèmes se retrouveront plus tard au coeur de l’Apocalypse : Voici que le Seigneur saccage la terre, qu’il la ravage, qu’il en bouleverse la face, qu’il en disperse les habitants. Il en sera du prêtre comme du peuple, du maître comme de l’esclave, de la maîtresse comme de la servante, du vendeur comme de l’acheteur, du prêteur comme de l’emprunteur, du créancier comme du débiteur. Saccagée, elle est saccagée, la terre ; pillée, elle est pillée. Car le Seigneur a proféré cette parole. La terre est en deuil, elle s’épuise, le monde dépérit, il s’épuise, et le ciel dépérit en même temps que la terre. La terre est profanée par ses habitants : ils ont transgressé les lois, ils ont changé les décrets, ils ont rompu l’alliance éternelle. C’est pourquoi la malédiction dévore la terre : ses habitants en subissent la peine ; c’est pourquoi les habitants de la terre diminuent : il n’en reste qu’un petit nombre (Isaïe 24,1-6).

 

Seigneur, tu es mon Dieu, je t’exalte, je rends grâce à ton nom, car tu as accompli projets et merveilles, sûrs et stables depuis longtemps. Tu as changé la ville en tas de pierres, la cité fortifiée, en champ de ruines ; la citadelle des étrangers n’est plus une ville, jamais elle ne sera rebâtie : voilà pourquoi un peuple fort reconnaît ta gloire, les cités des nations tyranniques te craignent. Tu es devenu forteresse pour le faible, forteresse pour le malheureux en sa détresse, un abri contre l’orage, une ombre contre la chaleur : le souffle des tyrans n’est que pluie d’orage sur un mur. Comme une chaleur étouffante sur la terre desséchée, tu étouffes le vacarme des étrangers ; comme faiblit la chaleur à l’ombre d’un nuage, ainsi faiblit le chant de victoire des tyrans. Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé. Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! » (Isaïe 25,1-9)

 

Le prophète Isaïe qui est l’auteur des 40 premiers chapitres du livre qui porte son nom, aurait vécu à Jérusalem de 766 à 701 mais ses écrits sont rassemblés et prennent la forme qu’on leur connaît à l’époque perse, en un temps ou la destruction du royaume de Juda et du Temple par les armées babyloniennes hantent la mémoire juive. Le livre d’Isaïe a une forte dimension eschatologie, parlant du malheur d’Israël mais annonçant la chute des royaumes païens et la victoire du Seigneur de l’univers.

 

En conclusion

 

L'apocalyptique semble naître de la guerre des années 167-164. Déjà une autre guerre, celle de 587, qui vit la destruction du premier Temple avait suscité un immense renouvellement littéraire et théologique. Face au choc provoqué par la profanation du Temple, à la persécution des juifs restés fidèles à leur Tradition va obliger la communauté d’Israël à se renouveler. Et cela passera par un genre littéraire nouveau, l’apocalyptique, qui cherchera à apporter des réponses aux questions vitales qui se posent dans des temps de crise. Les livres de Daniel et d’Hénoch cherchent à communiquer à leurs lecteurs une révélation divine qui leur dira la fin de l’histoire, l’issue des événements dans lesquels ils sont engagés. Ces oeuvres vont servir de modèle à une importante littérature juive et chrétienne qui ne cessera de chercher des réponses face aux menaces et aux persécutions qui mettent en danger de mort Israël et les chrétiens.

 

En bonus

 

Et s’il nous reste un peu de temps, voici deux éléments du livre de Daniel qui connaîtront une grande postérité dans l’Évangile et dans la vie et la pensée de l’Église.

 

D’abord la résurrection individuelle des morts, au chapitre 12, dont nous avons déjà lu un extrait. Ensuite la vision du Fils de l’homme : Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite (Daniel 7,13-14) Jésus se désignera souvent  comme fils de l’homme (ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου - huios tou anthrôpou) dans les évangiles : Comme ils étaient réunis en Galilée, Jésus leur dit : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, le troisième jour, il ressuscitera. » Et ils furent profondément attristés (Matthieu 17,22). En ce nom de Fils de l’homme, Jésus rassemble la déréliction, l’abaissement de la croix et la gloire de la résurrection.

 

 

 

 

Article publié par André-Benoît DRAPPIER • Publié le Lundi 15 février 2016 • 2499 visites

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